Saviez-vous que sourire de toutes vos dents pouvait faire de vous une prostituée ou un poivrot ? C’est fou le pouvoir de quelques canines…
Vous l’avez peut-être remarqué, les sourires sont rares dans les musées. Que ce soit sur les portraits du Moyen-Âge où le sourire est inexistant ou ceux de la Renaissance où il reste très timide, les moues des modèles sont plutôt boudeuses.
A partir de là, plusieurs explications s’imposent à nous : soit nos ancêtres étaient vraiment des casseurs d’ambiance, soit ils voulaient cacher leurs dents crados. Ben oui, à l’époque les dentistes ne couraient pas les rues… Le dentifrice non plus.
Contrairement aux idées reçues, il existe des raisons pratiques et socioculturelles à cette morosité ambiante dans les œuvres. En effet, la mauvaise hygiène dentaire étant très courante, elle n’était pas aussi mal vue qu’aujourd’hui.
Côté pratique, c’est le temps de pose qui entre en jeu. Imaginez-vous poser pendant des heures pour un peintre, on est bien loin de la capture d’un instant fugace de bonheur. Le sourire spontané se transforme vite en rictus forcé.
Côté culture et sociologie, c’est la vocation du portrait et le sens que l’on donne au sourire qui joue un rôle sur sa présence dans l’art. En effet, si le portrait sert aujourd’hui à capturer un instant en photographie, il donnait autrefois une représentation officielle du modèle pour laquelle le sourire pouvait être contre-productif.
Découvrez l’évolution du sourire dans l’histoire de l’art à travers 9 œuvres marquantes :
Le sourire le plus antique
Le plus ancien sourire connu dans l’art est visible au Louvre sur une statue de Ebih II datant de 2400 ans avant Jésus Christ. Bon, vu qu’Ebih n’est pas franchement une superstar, il nous semble nécessaire de préciser qu’il s’agit d’un gouverneur de Mésopotamie. Ce sourire peu naturel avec les lèvres très courbées vers le haut est appelé un « sourire archaïque ». À éviter pour vos prochains selfies…
Le sourire le plus interdit
A partir du Vème siècle, l’Art chrétien rejette le sourire. Un sacré rejet d’ailleurs puisqu’iI ne réapparaitra que 800 ans plus tard sous conditions. En effet, le sourire est synonyme de plaisir de la chair et de péché, il est donc plutôt malvenu. Pas étonnant de le retrouver chez Ève, la grande pècheresse qui a condamné l’humanité à l’errance sur Terre, et non chez Adam, victime du vice féminin. Et après on reproche aux femmes de ne plus sourire dans la rue…
Le sourire le plus absent
Bon, il y a toujours une exception à la règle, même en peinture. Si l’Art chrétien condamne le sourire, synonyme de péché, cela ne vaut que chez les simples mortels. Ben oui, les anges et les saints sont épargnés par le péché, c’est bien connu. Du coup la Madone fait partie des rares peoples qui ont le droit de sourire. Droit qu’elle n’applique pas toujours visiblement…
Le sourire le plus hautain
Les deux premiers portraits souriants selon l’Histoire de l’art arrivent à la Renaissance avec La Joconde de De Vinci et L’homme qui rit de Da Messina. Bon, on ne s’attardera pas sur le premier que l’on ne connait que trop bien. Quant à Antonello da Messina, il nous propose ici le premier vrai sourire sollicitant les yeux, les joues et pas seulement les lèvres contrairement au sourire archaïque de l’Antiquité. Mais bon, on est encore loin du sourire naturel avec ce rictus hautain qui semble nous prendre de haut…
Le sourire le plus populaire
Si le sourire fait une apparition à la Renaissance, il reste timide jusqu’au XVIIIème siècle. Il faut dire que le but était de se montrer sous son meilleur jour et que les dents mériteraient un petit coup de photoshop… Le sourire bouche ouverte est alors réservé aux ivrognes, aux indigents, aux prostituées, bref sourire à pleines dents c’est un truc de gueux. C’est en Hollande, chez Frans Hals que l’on retrouve de nombreux portraits des classes populaires et notamment cette Bohémienne pleine de vitalité et de spontanéité.
Le sourire le plus amoureux
Cupidon, dieu de l’amour, est généralement représenté sous des traits parfaits avec un léger sourire. Le Caravage, faisant honneur à sa réputation de « bad boy », le représente comme un garçon des rues, souriant de toutes ses dents et offrant son sexe à la vue de tous. Une vraie canaille qui piétine les symboles des sciences, des arts et de la guerre situés à ses pieds. Un peu provocateur ce sourire finalement…
Le sourire le plus denté
Avec le siècle des Lumières apparaissent également les dentistes. Pour autant la connotation négative des sourires dentés perdure. Lorsqu’Élisabeth Vigée Le Brun se représente tout sourire avec sa fille dans les bras, elle est considérée comme indigne au Salon de Paris de 1787. Ben oui, une vraie lady est censée cacher son sourire derrière un éventail…
Le sourire hollywoodien
Avec des photographies capables de capturer un instant spontané, les clichés des stars hollywoodiennes popularisent le sourire. Andy Warhol, pape du Pop art qui se moque de la société, reprend le sourire iconique de Marilyn Monroe et le multiplie. Cette œuvre se moque de la promesse de bonheur que nous fait la société de consommation.
Le sourire le plus ironique
Chez l’artiste chinois Yue Minjun, le sourire, voire le rire, est utilisé de façon sarcastique. Omniprésent dans ses œuvres, le sourire devient bête et prend le rôle d’un masque qui cache la réalité, comme les sourires sur commande des réseaux sociaux.
Copyrights :
Stature de l'intendant Ebih-Il, les mains jointent, en position d'orant. Epoque des dynasties archaïques, vers 2400 av. J.-C. Mari, temple d'Ishtar - MUSÉE DU LOUVRE, DIST. RMN - GRAND PALAIS / RAPHAËL CHIPAULT
Adam et Ève, Lucas Cranach l'Ancien - Courtauld Institute of Art, DR
La Vierge allaitant l’enfant, Lucas Cranach l'Ancien - Museum of Fine Arts, Budapest, DR
L’homme qui rit, Antonello Da Messina, 1470 - Sicile, Musée de Cefalù DR
La Bohémienne, Franz Hals (1628-30) - Musée du Louvre, Paris DR
L'Amour victorieux, Le Caravage - Gemäldegalerie (Berlin) DR
Madame Vigée Le Brun et sa fille, VIGÉE LE BRUN Élisabeth Louise (1755 - 1842) - RMN – Grand Palais (musée du Louvre) / Franck Raux
Diptyque Marilyn, Andy Warhol, 1962 - Tate Modern Gallery, Londres
Bonheur, Yue Minjun, 1993- Photo Sotheby's
Archimède, Jusepe de Ribera - Musée du Prado DR
Portrait de mariage d’Isaac Massa et Beatrix Van der Laen, Frans Hals, vers 1622 - Rijksmuseum
Sourire de Reims, vers 1240, portail nord de la façade occidentale de la cathédrale de Reims
Guerrier mourant, fronton ouest du temple d’Égine - Staatliche Antikensammlungen und Glyptothek München
La femme qui pisse, Picasso puis Rembrandt - DR