Saviez-vous que Rodin avait raté quelques-unes de ses sculptures ? Enfin, c’est l’avis de certains critiques…
Plus personne ne nie le génie d’Auguste Rodin. Père de la sculpture moderne, il participe à la révolution impressionniste qui fait basculer les artistes dans l’ère de l’Art moderne. Mais voilà, nul n’est parfait, et certaines de ses œuvres n’ont pas fait l’unanimité à ses débuts, voire n’ont toujours pas convaincu tout le monde…
L’Âge d’Airain
Cette œuvre était supposée être la première grande sculpture de Rodin. Ce n’est pas nous qui le disons mais lui-même. Sauf que l’artiste n’avait pas prévu que son excès de talent pourrait être un problème. La sculpture est tellement réaliste que Rodin est accusé d’avoir fait un moulage du modèle, voire d’être allé mouler le corps d’un mort… Pourtant l’artiste a bien modelé à la main cette œuvre et tentera de le prouver pendant 3 ans en montrant des clichés du modèle vivant et les écarts de proportions. Falguière, un ami sculpteur, prendra sa défense et le Ministre des Beaux-Arts croira en sa bonne foi. Finalement les spécialistes donnèrent raison à Rodin qui ne fera plus de sculptures à taille humaine. Juste au cas où…
Le Penseur
Cette œuvre est un fragment de la Porte de l’Enfer, commandée par l’État français pour le Musée des Arts décoratifs, mais Rodin en fera une œuvre à part entière. Mondialement connue aujourd’hui, elle ne fait pas tout de suite l’unanimité. Les règles académiques veulent que la sculpture représente des corps idéalisés liés à la mythologie. La pensée, par exemple, est en général représentée par la déesse Athéna. Ici Rodin place un grand gaillard en pleine capacité d’action dans une posture d’attente et de réflexion pas forcément flatteuse. "Brute énorme", "gorille", le Penseur aura le droit à tous les surnoms… Même Le Corbusier écrit à son maître : "je ne puis aimer ce gros boucher, bête".
Hugo
Après la mort de Victor Hugo en 1885, un monument doit être élevé à son effigie au Panthéon. En 1889, il est décidé de confier la commande à Rodin. Celui-ci décide de représenter Hugo dans la tourmente de l’exil. Bras tendu comme pour calmer les flots, méditant sur les rochers de Guernesey, entouré de deux muses. Mais cette représentation peu conventionnelle sera rejetée à l’unanimité par les commanditaires qui la trouvent difficile à comprendre dans le contexte néo-classique du Panthéon. Ils se tourneront assez naturellement vers le projet plus classique d’Injalbert, un autre sculpteur. Cette décision est toutefois critiquée et le directeur des Beaux-Arts décide en 1891 de destiner le projet de Rodin aux jardins du Palais Royal. Exposé au Salon de 1897 avec les deux muses, Hugo restera finalement nu, avec un simple drap sur les genoux. Ceci dit, la Muse tragique ne fait toujours pas l’unanimité, on lira même : « je ne vois en cette créature qu’une échappée d’un hôpital de pestiférés, à la face, aux mains, aux seins rongés de pustules gangrenées, au cou goitreux, aux membres démesurés et convulsionnés ».
Balzac
Cette sculpture est peut-être le summum des flops de Rodin. A la mort de Balzac, Alexandre Dumas, le père, a l’idée de lui rendre hommage par un monument. L’affaire traine et ce n’est finalement qu’en 1891 que Zola, Président de la Société des Gens de Lettres, propose de confier le projet à Rodin. Celui-ci ne connaît pas bien Balzac et fera des recherches pendant 6 ans, avec des méthodes plus ou moins conventionnelles… Il ira par exemple à la recherche d’un sosie de Balzac en Touraine. Oui, car à l’époque le déterminisme est une façon de penser assez commune et prétend que la physionomie est définie par la provenance géographique. Drôle d’idée… Bref, Rodin sera tellement long que la Société lui demandera le remboursement de l’avance. Rodin va quand même au bout du projet et représente Balzac nu sous sa robe de bure, une sorte de robe de chambre digne d’un moine, symbolisant le fait qu’il sortait peu souvent, se consacrant pleinement à l’écriture. Concernant son visage, Rodin s’attache moins à la ressemblance avec les représentations habituelles de Balzac qu’à l’expressivité des traits. Le projet est exposé en 1898 mais le rejet est sans appel : bonhomme de neige, pingouin, sac de charbon ou même menhir, les comparatifs désobligeants ne manquent pas. La sculpture a beau être défendue par Monet, Maillol, Debussy ou encore Mirabeau, la commande est finalement annulée et Rodin rembourse l’avance perçue. Ce n’est qu’en 1935 que le Musée Rodin fond un exemplaire en bronze et en 1939 qu’un second exemplaire sera installé boulevard Raspail. Rodin n’aura donc jamais la chance de la voir, bien qu’il ait pressenti le succès de sa sculpture : « Je vous prédis que ma statue fera du chemin ».
Clemenceau
En 1909, le gouvernement argentin commande à Rodin un portrait de Clemenceau pour le remercier après une série de conférences. Sauf que, quand il s’agit de représenter des célébrités, Rodin a tendance à mécontenter tout le monde, et Clemenceau ne fera pas exception... Et ce n’est pas nous qui le disons mais Clemenceau lui-même : « Il m’a toujours raté, déclara Clemenceau, lui dont les bustes rappellent les plus beaux portraits romains ; lui qui devine souvent des traits que le modèle ignore ; il m’a donné l’aspect d’un vieux grognard. » Il ira d’ailleurs jusqu’à refuser que son buste soit exposé au Salon de 1913. Mais l’artiste était très fier de sa représentation de la sagesse de Clemenceau. Comme d’habitude, ce n’est pas le réalisme qui l’intéresse mais la signification : « Clemenceau se voit dans la réalité. Je le vois dans sa légende ». Force est de constater qu’il a un peu vieilli son modèle… Pourtant Rodin avait fait une dizaine de têtes pour étudier plusieurs options, ça en fait des Clemenceau. Dans le lot, il aurait pu en faire au moins une version flatteuse…
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